La séance est ouverte à dix-huit heures trente.
M. le président Olivier Falorni. Nous recevons à présent deux responsables de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir (OABA) : M. Jean-Pierre Kieffer, son président, et M. Frédéric Freund, son directeur, en charge des missions de visites des abattoirs.
Avant de vous donner la parole pour un exposé liminaire, messieurs, je vous informe que cette audition, ouverte à la presse, est également retransmise sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale, où elle pourra être consultée pendant plusieurs mois. La Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de cette audition.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter serment en jurant de dire toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Kieffer et M. Freund prêtent successivement serment.)
M. Jean-Pierre Kieffer président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir (OABA). L’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir que je préside existe depuis 1961 et a été reconnue d’utilité publique en 1965, voilà un peu plus de cinquante ans. Cette association a été la première à être spécialisée dans la protection des animaux de boucherie. Elle a pendant longtemps été la seule à s’en préoccuper et nous nous réjouissons que d’autres organisations se soucient désormais de la protection des animaux que l’homme destine à sa consommation.
Nos actions couvrent la protection des animaux de l’élevage jusqu’à l’abattage. Et nous menons notamment une mission très particulière : le sauvetage des animaux maltraités ou en abandon de soins dans les fermes, tâche qui n’a fait que s’accroître avec la crise agricole. En 2015, nous avons ainsi pu sauver, à la suite de saisies effectuées par les services vétérinaires, 1 386 animaux, dont 986 bovins. Cela a représenté un budget de 750 000 euros pour notre association qui n’a reçu d’aides ni des pouvoirs publics, ni d’autres associations, ni des professionnels de l’élevage. Je tiens à le souligner, car en l’absence d’interventions de notre part, les animaux seraient promis à une mort certaine, crèveraient de faim ou de souffrance, et les services vétérinaires savent malheureusement de plus en plus faire appel à nous. Ce rôle nous est cher car nous avons toujours accordé beaucoup d’importance à la protection de terrain : nous privilégions ces opérations de sauvetage par rapport à la communication, notamment sur internet.
C’est grâce à l’action de la fondatrice de l’OABA, Mme Gilardoni, qu’a été publié en 1964 un décret rendant obligatoire l’étourdissement – avec une dérogation bien connue pour l’abattage rituel.
L’OABA a mené depuis les années soixante-dix une mission de visites des abattoirs, mettant à profit la présence traditionnellement forte de vétérinaires parmi ses membres, qu’il s’agisse d’enseignants des écoles vétérinaires, de vétérinaires praticiens, voire de vétérinaires de l’administration. Depuis quelques années, elle rencontre toutefois des difficultés pour la mener à bien – j’y reviendrai plus loin.
Ces visites se font toujours après avoir pris rendez-vous avec le directeur de l’abattoir concerné et les services vétérinaires en charge du contrôle de cet abattoir : il n’est pas possible pour une association de venir à l’improviste pour voir ce qu’il s’y passe. Précisons que nos audits portent sur la seule protection des animaux et non sur l’aspect sanitaire. Sur place, nous adressons des remarques au directeur et aux professionnels sur les problèmes que nous relevons. Nous faisons même corriger les mauvaises pratiques en montrant les bons gestes, puisque nos enquêteurs sont soit des vétérinaires soit des professionnels des abattoirs à la retraite, doués d’une réelle compétence en matière de manipulation des animaux et d’utilisation du matériel. Nos visites font systématiquement l’objet d’un rapport remis au directeur, éventuellement au maire lorsqu’il s’agit d’un abattoir municipal, aux services vétérinaires préfectoraux – direction départementale des services vétérinaires (DDSV) autrefois, direction départementale de la protection des populations (DDPP) à présent – mais aussi, en cas de problèmes sérieux, au bureau de la protection animale de la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’agriculture.
Notons que jusqu’au début des années 2000, il y avait une réactivité très forte de la part des abattoirs, des services vétérinaires et du bureau de la protection animale. Lorsque nous constations une infraction qui aurait dû être relevée par le vétérinaire inspecteur, le bureau de la protection animale envoyait une note de service à l’abattoir concerné rappelant la réglementation – dont il pouvait arriver à mes confrères d’ignorer certains points. Nous avons même reçu des lettres d’encouragement de la part de certains ministres de l’agriculture comme Dominique Bussereau ou Bruno Le Maire. Mais depuis, cette réactivité s’est peu à peu affaiblie : lorsque nous revenions six mois ou un an plus tard visiter un abattoir dont nous avions signalé les manquements à la réglementation, nous constations une persistance des dysfonctionnements.
En 2011, nous avons été sollicités par la journaliste Anne de Loisy qui souhaitait faire une enquête en caméra cachée dans les abattoirs à la suite du rapport de la Cour des comptes épinglant des problèmes sanitaires. Nous avons étudié la possibilité de l’aider à entrer dans certains abattoirs mal équipés ou souffrant de dysfonctionnements, notamment un abattoir appartenant à la catégorie 4 – la pire, celle qui ne devrait plus exister. Son reportage, qui comportait des images très choquantes, a été diffusé en 2012 dans le cadre de l’émission Envoyé spécial sur France 2 et a été vu par près de 4 millions de téléspectateurs. Il mettait au jour des pratiques inacceptables – un directeur notamment indiquait que les visites ante mortem dans son abattoir étaient effectuées par la caissière de son établissement !
Cette émission a eu un impact politique à quelques mois des élections présidentielles
– certains partis se sont emparés de la question, parfois en la détournant de son contexte. Malheureusement, elle a eu aussi des répercussions directes pour l’OABA car certains directeurs d’abattoir ont considéré que notre association avait trahi leur confiance. C’est une attitude regrettable : les professionnels auraient mieux fait de considérer qu’il leur fallait balayer devant leur porte, car nous n’avions dénoncé que de très, très mauvais élèves, et empêcher que les dysfonctionnements dénoncés à travers des cas extrêmes ne se reproduisent.
Nous avons donc ensuite connu des difficultés pour entrer dans les abattoirs et la situation ne s’est pas arrangée par la suite. Patrick Dehaumont, directeur général de l’alimentation, toujours en fonction, a en effet adressé à tous les abattoirs une note de service indiquant que toute personne entrant dans un abattoir devait obtenir l’autorisation de son directeur. Ce qui était tout à fait logique, à ceci près qu’on laissait entendre que l’OABA n’était pas la bienvenue…
Précisons que le rôle de l’OABA n’est pas seulement de dénoncer les mauvaises pratiques mais aussi d’encourager les améliorations. Dans cette optique, nous mettons au point des guides de bonnes pratiques illustrés : celui consacré aux ruminants a été validé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), celui dédié aux ovins est à l’étude et celui relatif aux porcs est en cours de rédaction.
Nous participons également à des travaux scientifiques avec l’Institut national de recherche agronomique (INRA), l’ANSES, et les écoles vétérinaires afin d’améliorer les analyses des conditions de la perte de conscience. Il faut savoir que beaucoup de mauvaises pratiques proviennent de non-vérification de la perte de conscience. Du coup, des animaux sont hissés sur la chaîne d’abattage et découpés alors qu’ils sont encore sensibles. Ces actes de cruauté sont très difficiles à supporter pour le vétérinaire que je suis. Les vidéos de l’association L214 ont eu l’avantage de montrer ces pratiques dans certains abattoirs.
Nous continuons de visiter un certain nombre d’abattoirs. Sur les deux cent cinquante abattoirs d’animaux solipèdes – munis de sabots –, quatre-vingts continuent à nous ouvrir leurs portes sans difficulté.
Lors de la réunion du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) du 5 avril dernier, j’ai eu l’occasion de demander au ministre de l’agriculture s’il comptait renforcer le contrôle du poste d’abattage. Il m’a immédiatement répondu qu’il ne disposait pas de moyens suffisants pour recruter les 500 équivalents-temps plein nécessaires pour combler la perte d’agents de contrôle intervenue entre 2004 et 2014. Ce à quoi, me doutant de sa réponse, j’ai répliqué que, dans ces conditions, il devait accepter que des associations participent au contrôle du poste d’abattage, proposition qu’à ma surprise, il a acceptée. Le directeur général de l’alimentation, Patrick Dehaumont – celui-là même qui avait transmis une note de service incitant les directeurs d’abattoir à ne plus recevoir l’OABA – m’a appelé pour me dire que cette solution serait étudiée et que, dans le cadre de conventions, il pourrait être envisagé que les associations de protection animale participent à ces visites de contrôle du poste d’abattage.
M. le président Olivier Falorni. Mes questions porteront sur quatre thèmes.
S’agissant tout d’abord de la formation, quelles sont pour vous les principales difficultés rencontrées dans les abattoirs ? Pensez-vous que le personnel est suffisamment formé ? Quelle est votre position sur l’encadrement dans les abattoirs ?
S’agissant des contrôles, quel regard portez-vous sur l’intervention des services vétérinaires au sein des abattoirs ? Les contrôles sont-ils selon vous efficaces ? Êtes-vous favorable à la généralisation de la vidéosurveillance ?
S’agissant des sanctions, le dispositif pénal vous semble-t-il aujourd’hui suffisant ? Pouvez-vous vous porter partie civile dans toutes les situations ? Que pensez-vous des annonces récentes du Gouvernement sur la responsabilité pénale des directeurs d’abattoir ?
Enfin, avez-vous une bonne connaissance des pratiques d’abattage à l’étranger ? Il est toujours bon de se comparer à d’autres : quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console… Y a-t-il matière à se consoler ? Certains pays vous semblent-ils plus attentifs à la souffrance animale que le nôtre ?
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Je vous remercie pour votre exposé liminaire. Votre audition sera complémentaire de celle de l’association lanceuse d’alerte, L214, dont l’action a conduit à la création de cette commission d’enquête.
L’alerte a montré que dans certains abattoirs, la réglementation n’était pas respectée, ce qui a abouti à des situations que tout le monde s’accorde à qualifier d’inacceptables – ce qui tient sans doute de l’understatement. Mais, au-delà, pouvez-vous estimer la proportion d’abattoirs où les règles ne sont pas respectées ? Est-ce systématique, rare, plutôt fréquent ? L’une des missions de notre commission est aussi de quantifier le nombre de dysfonctionnements et de déterminer leur degré de gravité.
Peut-on préciser les causes des mauvaises pratiques ? Sont-elles liées à la formation, aux cadences imposées par les contraintes économiques, à la vétusté des équipements, à leur conception même ?
Quelle part des dysfonctionnements concerne les étapes qui se situent en amont de l’abattage : transport, stockage, période d’attente ?
Quand on est confronté à une multiplicité de problèmes, il y a parfois une ou deux choses simples à faire qui permettent de résoudre une bonne partie des difficultés. Est-ce possible pour la question qui nous occupe ?
Enfin, qu’en est-il de la démarche de certification ? L’intervention d’un tiers certificateur pourrait-elle être envisagée en complément du processus de contrôle ?
M. Élie Aboud. Grâce à votre association, reconnue d’utilité publique, le décret rendant obligatoire l’étourdissement a vu le jour. Je suis surpris que plus d’un demi-siècle plus tard, il n’y ait toujours pas de procédures de vérification de la perte de conscience. Pouvez-vous nous en dire davantage, en tant que vétérinaire et militant associatif ?
L’association L214 défend pour sa part la cause végétarienne. Travaillez-vous avec elle ? Partagez-vous les mêmes objectifs ? Votre association est-elle aussi marquée par ce militantisme végétarien ?
M. Hervé Pellois. Vous avez évoqué une grille d’appréciations des abattoirs, avec des catégories allant de 1 à 4. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? Comment se répartissent les abattoirs entre ces quatre catégories ?
Par ailleurs, le fait que vous élaboriez des guides de bonnes pratiques implique-t-il que les instituts techniques ne font pas ce travail ? Quels sont vos rapports avec ceux-ci et avec l’INRA ?
Êtes-vous d’accord pour considérer que la non-spécialisation des abattoirs constitue l’une des principales difficultés aujourd’hui ?
M. Thierry Lazaro. Vous avez parlé de la cause animale avec beaucoup de cœur, une compétence certaine et la fermeté nécessaire. Le site internet de l’OABA n’a pas la même tonalité militante que celui de l’association L214. Parmi ses rubriques, on trouve les transports, les spectacles – en tant qu’élu du Nord, je sais les passions que déchaînent les combats de coq –, les abattoirs mais aussi l’abattage rituel. Sans avoir d’a priori, on ne peut pas ne pas se poser de questions sur les conditions cette forme d’abattage. Quelle est votre position sur ce point ?
M. Jacques Lamblin. L’étourdissement obligatoire est une victoire de votre association qui remonte à 1964. Il permet de faire perdre conscience à l’animal qui va être sacrifié. Les dispositifs existants connaissent-ils des dysfonctionnements ? Si oui, sont-ils ou non fréquents ?
Nous le savons, il existe des dérogations à cette obligation, la principale concernant l’abattage rituel. Est-il possible de concilier l’absence d’étourdissement et l’absence de souffrance des animaux pendant l’abattage ?
M. Jean-Pierre Kieffer. Je commencerai par la question relative au végétarisme. Les statuts de l’OABA ne prévoient nullement qu’il faille prôner le végétarisme. Son intitulé même – Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir – reconnaît l’existence des abattoirs. Chacun de ses membres, à titre personnel, prend ses responsabilités. Il est certain que face à la souffrance dont nous sommes témoins dans les abattoirs, il peut être difficile dans l’immédiat de consommer de la viande ; mais c’est l’affaire de chacun. Qui plus est, mes responsabilités professionnelles me conduisent à considérer avec respect les éleveurs qui font bien leur métier. Certains sont eux-mêmes choqués des conditions dans lesquelles leurs bêtes sont parfois véritablement massacrées. Lors de l’une de nos dernières assemblées générales, une éleveuse nous a dit quel choc a été pour elle le fait de découvrir que ses vaches laitières étaient tuées dans un abattoir qui ne pratiquait pas l’étourdissement alors qu’elle leur avait donné à chacune un prénom – Marguerite ou autre – et les avaient entourées de soins pendant sept ans. Il faut savoir que l’agonie d’une vache égorgée à vif peut durer jusqu’à cinq minutes : c’est une vision insupportable, je peux en témoigner.
J’ajoute une précision : nous n’avons aucun lien avec quelque sensibilité politique que ce soit. Dès qu’il est question d’abattage rituel, il y a des risques de récupération à craindre de la part de certains mouvements auxquels nous ne donnons aucun crédit.
La question de la formation est essentielle. Sur certains sites de recrutement, on voit des petites annonces ainsi rédigées : « Recrutons opérateur d’abattoir. Formation professionnelle souhaitée mais non obligatoire ». Lors de certains pics d’activité – ce qui a certainement été le cas à l’abattoir de Mauléon à l’approche des fêtes pascales –, des responsables tendent à embaucher des personnes sans la formation nécessaire.
La formation est pourtant obligatoire depuis que le règlement européen de 2009 est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Toutefois, elle n’est que théorique. Elle s’effectue sous forme de questionnaires à choix multiples. Nous souhaitons qu’elle soit également pratique. Il n’est pas pensable que le maniement d’appareils dangereux, y compris pour la sécurité de personnel, puisse être confié à des personnes non formées à leur utilisation. Nous appelons à une formation pratique des personnels travaillant sur ce poste particulier de mise à mort.
M. Frédéric Freund, directeur de l’OABA. À l’évidence, les contrôles sont insuffisants et inefficaces. Il n’y a pas que les ONG de protection animale qui le soulignent : les services de Commission européenne dressent le même constat. Plusieurs rapports de l’Office alimentaire et vétérinaire (OAV) ont épinglé la France pour l’insuffisance des contrôles : les vétérinaires inspecteurs ne sont pas assez présents aux postes d’abattage et lorsqu’ils le sont, ils ne remédient pas assez souvent aux situations de maltraitance avérée.
Dans ces conditions, la question de la vidéosurveillance se pose. À la suite de la diffusion des vidéos de L214, les ONG de protection animale, dans une lettre commune adressée tout d’abord au ministre de l’agriculture puis au Premier ministre, ont appelé à une surveillance continue du poste d’abattage ; cette demande a d’ailleurs été reprise par les quatre fédérations nationales d’abattage dans un communiqué de presse unique – le fait est assez rare pour être noté. Lors de la réunion du CNOPSAV du 5 avril, le directeur général de l’alimentation a reconnu qu’une telle surveillance nécessitait de recruter 500 personnes. Le ministre de l’agriculture s’est empressé de dire qu’il n’avait pas les moyens budgétaires de le faire.
En l’absence de moyens humains, comment répondre à l’attente des professionnels, des ONG et du public ? En installant des dispositifs de vidéosurveillance. Au Royaume-Uni, plus de la moitié des abattoirs en sont équipés, sur la base du volontariat. Rien n’empêche les responsables d’abattoirs français d’en faire autant. Leurs fédérations elles-mêmes en ont fait la demande ; il leur appartient de passer à l’action. Certains, du reste, ont déjà installé des caméras, principalement pour les quais de déchargement. Il faudrait les généraliser aux couloirs d’amenée et aux postes d’abattage.
Le dispositif de sanctions nous paraît-il suffisant ? Il repose principalement sur la partie réglementaire du code rural, précisément sur l’article R. 215-8 qui punit, entre autres, le fait d’avoir recours à un matériel d’immobilisation non conforme, de suspendre des animaux encore conscients, de ne pas étourdir l’animal. Seules des contraventions de quatrième classe sont appliquées : ces pratiques ne sont pas considérées comme des délits. Cela explique que le ministre de l’agriculture ait parlé de créer un délit de maltraitance pour les professionnels de l’abattage. Il suffirait pour cela d’étendre le champ de l’article L. 215-11 du code rural qui punit d’ores et déjà de six ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende les actes de maltraitance commis par des professionnels de l’élevage, avec une interdiction professionnelle limitée à cinq ans. Passer d’une peine contraventionnelle de quelques centaines d’euros à une peine délictuelle me paraît incontournable.
Pour bien connaître le fonctionnement des parquets – il m’est arrivé d’être auditeur lorsque j’étais chargé de travaux dirigés à la faculté de droit de Nancy –, je sais qu’un procureur submergé de dossiers d’agressions sexuelles, de vols à main armée, de trafics de stupéfiants, d’infractions économiques aura tendance à ne pas prêter grande attention à une contravention de quatrième classe pour deux ou trois moutons mal étourdis. Il n’en sera pas de même pour une procédure d’ordre délictuel portant sur les mêmes faits : il lui sera beaucoup plus difficile de décider de la classer. L’élévation dans le degré des sanctions pour les maltraitances commises au sein des abattoirs nous apparaît nécessaire.
Vous avez posé une excellente question à propos de la possibilité pour les associations de protection animale de se porter partie civile : aujourd’hui, elles peuvent le faire – je vous renvoie à l’article 2-13 du code de procédure pénale – uniquement pour les infractions qui relèvent du code pénal, et non du code rural. Vous avez donc devant vous une association reconnue d’utilité publique spécialisée dans la protection animale, de l’élevage à l’abattage, qui ne peut légalement se constituer partie civile pour toutes les infractions relatives aux règles d’élevage, de transport et d’abattage contenues dans le code rural…
Dans le cadre de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, il avait été envisagé d’élargir par voie d’ordonnance l’article 2-13 aux infractions prévues par le code rural. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) s’est opposée à cette disposition, estimant qu’elle encouragerait les associations à déposer des plaintes à tout va. C’est confondre deux choses. Aujourd’hui, point n’est besoin de se porter partie civile pour déposer plainte : tout le monde peut le faire. Dans 99 % des cas, la constitution de partie civile pour les associations de protection animale se fait à partir de citations délivrées par le parquet. Je ne vois donc pas où est le risque d’une inflation de procédures. Si le parquet est inactif, une association de protection animale peut initier l’action publique, soit devant le doyen des juges d’instruction, soit par citation directe, mais dans les deux cas, elle doit verser une certaine somme au titre de la consignation. Si la procédure est considérée comme abusive, cette provision peut être confisquée et une amende civile prononcée : la procédure est donc suffisamment bordée. Rien n’empêche donc à mon sens que le code de procédure pénale soit modifié pour permettre aux associations de protection animale de se porter partie civile pour les infractions prévues par le code rural.
Pour ce qui est de la comparaison avec l’étranger, je vous rassure : on ne peut pas dire que la France est le vilain petit canard de l’Union européenne. Nous nous référons aux rapports de la Commission européenne qui portent chaque année sur des audits menés dans certains pays soit sur l’élevage, soit sur le transport, soit sur l’abattage. Les dernières études de l’OAV, qui portent sur la Grèce, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, ne montrent pas dans ces pays une situation meilleure que la France. Les pays les plus attentifs au bien-être animal sont surtout ceux d’Europe du Nord : le Danemark, la Suède et les Pays-Bas.
Comment quantifier les dysfonctionnements dans les abattoirs, nous avez-vous demandé. Il s’agit d’une tâche extrêmement difficile car cela nécessite de disposer d’une grille d’analyse bâtie sur des critères objectifs. Nous avons mené une étude au sein de l’OABA durant les années 2011 et 2012 portant sur cent vingt visites d’abattoirs : nous avons constaté que dans 5 % des cas, les abattoirs respectaient parfaitement la réglementation « protection animale » ; pour les 95 % restants, on relevait 55 % d’irrégularités mineures et 45 % d’irrégularités majeures. Exemple d’irrégularité mineure : la coupure de l’eau dans les zones d’attente pour éviter le gel, problème qui peut pourtant être aisément résolu en en mettant des bassines ou des seaux dans les parcs pour donner à boire aux animaux. Et si les animaux les renversent, il suffit de les mettre dans de vieux pneus, qui ne coûtent rien… Les dysfonctionnements majeurs concernent les animaux mal étourdis ou les animaux suspendus alors qu’ils sont encore conscients.
M. Jean-Pierre Kieffer. Lorsqu’ils ont découvert la vidéo de l’abattoir d’Alès, certains responsables du ministère de l’agriculture et des professionnels ont soutenu qu’il s’agissait d’un cas isolé. Malheureusement, deux autres vidéos ont montré que des pratiques encore plus cruelles avaient lieu dans d’autres abattoirs.
Le ministre de l’agriculture a indiqué qu’au cours de l’année 2014, sur les deux cent cinquante abattoirs, cent quatre avaient fait l’objet d’un avertissement, soixante d’une mise en demeure et deux d’une suspension d’agrément. Autrement dit, moins de 35 % seulement ont échappé à tout reproche, ce qui a de quoi inquiéter.
J’aimerais revenir à la vidéosurveillance, qui me paraît très importante. Bien sûr, l’installation de tels dispositifs pose des questions en matière de droit du travail et de protection des salariés. Toutefois, elle est le seul moyen de garantir une surveillance continue, car il est impossible pour les services vétérinaires et les associations de protection animale de l’exercer. Et quand bien même un vétérinaire inspecteur serait est présent en permanence sur le poste d’abattage, il est en blouse blanche, à visage découvert, au vu et au su de tous ; or si les caméras cachées de L214 ont pu mettre au jour des pratiques inacceptables, c’est parce que le personnel ne se savait pas surveillé. Pour empêcher que des situations aussi dramatiques ne se reproduisent, la vidéosurveillance s’impose. Elle permettra en outre d’assurer la sécurité du personnel. Le pistolet d’abattage de type Matador, par exemple, est d’un maniement très dangereux : la tige métallique que l’explosion d’une cartouche fait sortir du fût pour pénétrer dans la boîte crânienne de l’animal peut tout aussi bien arracher une main. Il en va de même pour la pince à électronarcose. Je vous transmettrai un document relatif à la vidéosurveillance au Royaume-Uni.
Pour ce qui est de l’évaluation et la quantification des dysfonctionnements, le problème est que les grilles d’appréciation sont très succinctes et ne sont remplies que tous les deux ans. Elles ne permettent pas une surveillance adaptée.
M. Frédéric Freund. Le responsable d’un abattoir de Lozère, dans les jours qui ont suivi la diffusion de ces vidéos, a déclaré qu’il n’avait rien à cacher et s’est dit prêt à accueillir qui le voulait. Saisissant la balle au bond, nous l’avons contacté, mais lorsque nous avons précisé qui nous étions, il a fait volte-face et a refusé de nous recevoir : « Vous pouvez toujours écrire au préfet, je n’en ai rien à faire » nous a-t-il répondu – vous imaginez qu’il a employé des termes moins policés. Nous avons alors demandé au préfet de nous transmettre les derniers rapports d’inspection portant sur la protection animale : au mois de novembre 2015, nous avons reçu par l’intermédiaire de la DDPP deux rapports, l’un datant de juin 2015, l’autre remontant à septembre 2013, alors qu’il s’agit de simples grilles de quatre pages avec des cases à cocher que l’on peut remplir en cinq minutes. On entend dire que les abattoirs sont régulièrement surveillés, c’est surtout vrai d’un point de vue sanitaire – les alertes fonctionnent plutôt bien en ce domaine ; en matière de protection animale, en revanche, la surveillance accuse un énorme retard.
Une question a porté sur les catégories du classement des abattoirs. Il y en avait quatre, il y en a aujourd’hui trois, sachant qu’il ne devrait plus y en avoir que deux. La catégorie 1 correspond aux établissements qui se conforment en tout point à la réglementation ; la catégorie 2 aux établissements où il y a quelques points à améliorer ; la catégorie 3 aux établissements présentant de très nombreux défauts ; quant à la catégorie 4, c’était l’horreur… Mais attention, il s’agit d’un classement fondé sur des critères exclusivement sanitaires qui ne prend aucunement en compte la protection animale.
Dans la continuité des contrôles sanitaires, il serait intéressant de certifier les abattoirs selon leur score en matière de protection animale. L’OABA travaille avec un groupe sur un tel outil d’évaluation qui pourrait être généralisé par l’intermédiaire de la direction générale de l’alimentation. Cela serait de nature à rassurer le consommateur qui ne se soucie plus seulement, comme ce fut longtemps le cas, de la qualité de la viande, mais aussi de la manière dont les animaux sont traités.
J’en viens aux causes des différentes maltraitances. Est-ce un problème de matériel, de formation, de conception ? En fait, il y a des trois. Certains abattoirs sont mal conçus, avec, par exemple, des couloirs d’amenée trop larges, conçus pour faire passer des gros taureaux, mais dans lesquels les petits veaux font sans cesse demi-tour. Cela vire au rodéo, le personnel s’énerve, on prend le bâton à choc électrique, pourtant interdit sur les veaux, mais il n’y a pas moyen de faire autrement, ou on tape dessus… Le matériel est parfois vétuste – avec un risque d’arc électrique, donc de sécurité pour le personnel – ou alors, quand il fonctionne bien, il est mal utilisé par des personnels peu formés. La pince à électronarcose utilisée pour l’abattage des porcs suppose de choisir une intensité précise selon la taille de l’animal à abattre : si vous mettez la position « porcelet » pour une coche ou un porc charcutier, cela chatouillera l’animal sans l’étourdir ; inversement, si vous mettez la position « coche », soit 350 ou 400 volts, pour un porcelet, vous allez le griller ! Ajoutons à cela des notices parfois plus ou moins fantaisistes : ce problème a été relevé par la DGAL et la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le but est d’éviter que les fabricants écrivent n’importe quoi.
Vous m’avez demandé selon quelle fréquence on constatait des dysfonctionnements dans les dispositifs actuels d’étourdissement. Les rapports scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments et ceux de l’Académie vétérinaire de France considèrent que les dispositifs d’étourdissement mécanique – pistolets à tige perforante – ou électriques – pinces à électronarcose – fonctionnent bien lorsqu’ils sont correctement utilisés et les paramètres correctement appliqués : ils entraînent une perte de conscience immédiate et durable chez l’animal, s’ils sont appliqués suffisamment longtemps, avec une intensité électrique adaptée pour la pince électrique et une cartouche adéquate pour le pistolet – On utilise des cartouches différentes, avec un code couleur, selon qu’il s’agit d’une tête de veau ou d’une tête de gros bovin ou de bison. Certains soutiennent que le pistolet à tige perforante n’est pas performant, ce qui est faux. Cela étant, des problèmes peuvent survenir en cas d’absence d’immobilisation de la tête du bovin : si l’animal est en mesure de bouger sa tête, l’opérateur peut rater son coup et la tige pénétrer dans l’œil et non dans le cortex cérébral. Quand nous nous sommes rendus à l’abattoir de Cholet, qui applique une immobilisation systématique, nous n’avons constaté aucun loupé durant notre observation d’une demi-heure. Et puis, disons-le, il y a des bons tueurs et d’autres moins doués…
M. Jean-Pierre Kieffer. Dans la vidéo de l’abattoir de Mauléon, on voit clairement que l’appareil d’électronarcose ne fonctionnant pas, l’opérateur assomme les moutons avec un crochet métallique. On ne voit ni vétérinaire inspecteur ni représentant de la protection animale (RPA) présent. L’opérateur ne se conforme pas à l’obligation réglementaire selon laquelle la chaîne d’abattage doit être arrêtée en cas de panne de l’appareil d’étourdissement. Sans doute contraint par les très fortes cadences propres à la veille des fêtes pascales, il se retrouve un peu dans la situation de Charlie Chaplin dans Les Temps modernes, à ceci près les boulons sont des moutons ; la solution qu’il choisit, c’est de les assommer avec un crochet métallique… La question a été posée de la responsabilité des opérateurs. Dans ce cas précis, ils font ce qu’ils peuvent, dans des conditions de travail inacceptables du fait des fortes cadences, la panne de la pince à électronarcose et l’absence de contrôle.
Des problèmes se posent aussi avant l’arrivée des animaux à l’abattoir. Il faut savoir que les abattoirs commencent leurs activités très tôt, à quatre heures du matin ; du coup, beaucoup de transporteurs préfèrent venir à la fermeture la veille : les animaux sont alors laissés dans les camions jusqu’au lendemain, après plusieurs heures de transport sans abreuvement. C’est une réalité qu’il ne faut pas oublier. Une réglementation existe en matière de transportabilité des animaux, mais il arrive que des animaux hors d’état d’être transportés parce qu’ils souffrent de fractures, de renversement de matrice, d’abcès ou de cachexie soient tout de même conduits à l’abattoir où ils seront le plus souvent saisis et envoyés à l’équarrissage.
M. Frédéric Freund. Une question a porté sur le type d’abattoirs plus particulièrement concernés par les dysfonctionnements. La taille n’est pas le critère pertinent. On en rencontre dans des petits comme dans des grands. Lors de ma visite à la Cooperl, où sont abattus 750 porcs chaque heure, je m’attendais à voir des horreurs mais la réalité m’a surpris : procédures très bien maîtrisées, personnel bien formé, présence de deux RPA sans attendre l’entrée en vigueur du règlement européen. Autrement dit, il ne faut pas noircir le tableau : certains professionnels ont compris depuis longtemps que le bon traitement d’un animal assurait une viande de qualité. C’est cela aussi qui en jeu : ce n’est pas un hasard si le responsable de la protection animale est souvent aussi le responsable qualité.
Ce qui est déterminant, c’est la spécialisation ou non des abattoirs. Il est bien évident que dans un abattoir spécialisé dans l’abattage des bovins ou des porcins, il y a moins de risques de voir se produire les actes de cruauté que les vidéos ont révélés. Le personnel a l’habitude de traiter un certain type d’animaux et dispose d’un matériel spécifique. Dans un abattoir multi-espèces, les équipements sont difficilement adaptables à toutes les espèces. Par exemple, les mêmes boxes de contention servent aux porcs et aux moutons, ou aux bovins et aux chevaux. Le personnel ayant à traiter plusieurs espèces différentes a du mal à se spécialiser. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que les dernières vidéos concernent des abattoirs multi-espèces.
M. Jean-Pierre Kieffer. S’agissant de nos liens avec les instituts scientifiques, je soulignerai que nous collaborons avec l’ANSES, qui nous a consultés plusieurs fois sur des questions relatives à l’abattage. Un groupe de travail consacré à la perte de conscience des porcs va débuter ses travaux la semaine prochaine. La perte de conscience est une question essentielle. S’il n’y a pas de procédures de vérification, si l’abattoir n’adapte pas sa cadence en fonction de l’étourdissement de chaque animal, les problèmes comme ceux montrés dans les vidéos ne peuvent manquer de se produire.
Venons-en à présent à l’abattage dit « rituel ». Nous préférons parler d’abattage avec ou sans étourdissement, car il existe des abattages rituels qui se font avec étourdissement
– tout le monde connaît l’exemple de l’abattoir de Sisteron, spécialisé dans les ovins. Par ailleurs, on observe une dérive dans certains abattoirs qui pratiquent l’abattage sans étourdissement aux bêtes non spécifiquement destinées à la consommation halal ou casher, car il apparaît plus simple de n’utiliser qu’une seule chaîne et une seule procédure pour tous les animaux à abattre. Au-delà de cette généralisation de la souffrance animale, il y a une tromperie du consommateur qui consomme sans le savoir – et surtout sans le vouloir – de la viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement.
On ne peut nier la souffrance animale lorsqu’on ne pratique pas l’étourdissement. Assister à un abattage sans étourdissement, surtout lorsqu’il s’agit d’une vache laitière, qui mettra beaucoup plus de temps qu’un gros Charolais à mourir après un égorgement à vif provoque un choc à vie : la gorge tranchée – peau, muscles, œsophage, trachée entaillée –, donc à moitié décapité, l’animal tombe, se relève, retombe, se relève, pousse des cris cependant que l’air qui passe fait des bulles dans le sang. C’est une image atroce.
L’abattage sans étourdissement, rituel ou pas, est pour nous inacceptable au XXIe siècle. Obtenir à travers une réglementation ou une loi l’extension de l’obligation de l’étourdissement avant la saignée serait une grande avancée. Il existe des méthodes d’étourdissement réversibles, acceptées par un grand nombre de chefs religieux. La Nouvelle-Zélande ou l’Australie produisent de la viande certifiée halal provenant d’animaux préalablement étourdis.
M. Frédéric Freund. J’ai levé la main droite et j’ai juré de dire la vérité, je la dis : certains défendent l’abattage rituel pour des raisons davantage économiques que religieuses, plus intéressés par l’argent du halal ou du casher que par le halal ou le casher en eux-mêmes. Ce sont ceux-là qui aimeraient nous faire croire que lorsqu’un animal est égorgé sans être étourdi, il perd conscience dans la seconde qui suit parce que son cerveau, dit-on, implose. Il faut arrêter de dire n’importe quoi et de nous ressortir les thèses des années quatre-vingt ! Une étude récente de l’ANSES – que l’on ne peut soupçonner d’être à la botte des associations de protection animale – affirme clairement que la seule méthode permettant de réduire les souffrances de l’animal lors de l’abattage, c’est l’étourdissement, qui devrait être pratiqué dans tous les cas. Les rapports scientifiques les plus récents s’accordent pour établir que ce n’est pas tant le coup de couteau en lui-même qui est douloureux pour l’animal que l’agonie post-jugulation, car la perte de conscience peut être retardée de plusieurs minutes, notamment chez les bovins. Il ne faut pas se focaliser sur le fait que l’animal est égorgé vivant mais plutôt sur le temps qu’il faut avant que l’animal se vide suffisamment de son sang pour perdre conscience.
Encore faut-il, je le répète, que les méthodes d’étourdissement soient correctement appliquées, avec un matériel adéquat et par un personnel formé.
M. Philippe Vitel. Votre association, qui a pignon sur rue et dispose d’un budget conséquent, constate depuis très longtemps des dysfonctionnements. Toutefois, vos analyses ne sont pas arrivées jusqu’à nous : il a fallu les vidéos de L214 pour éveiller les consciences et amener les parlementaires à décider la création d’une commission d’enquête. Comment jugez-vous les méthodes de communication de cette association, qui se pose en lanceuse d’alerte ? N’avez-vous pas le sentiment, avec le recul, de ne pas avoir assez dénoncé ces problèmes ?
M. Guillaume Chevrollier. Le poste de responsable de la protection animale semble jouer un rôle clef dans les abattoirs. Quelle appréciation en faites-vous ? Faudrait-il préciser ses contours dans une fiche de poste ?
Compte tenu de votre expertise, pouvez-vous nous indiquer quelles pratiques concrètes, issues de pays plus en pointe en matière de protection animale, pourraient être appliquées en France ?
Mme Annick Le Loch. Vous avez précisé, monsieur Kieffer, que quatre-vingts abattoirs vous ouvraient encore leurs portes parmi les deux cent cinquante existants. S’agit-il d’un type particulier d’abattoirs comme les abattoirs mono-espèce ou bien des abattoirs tous classés en catégorie 1 ? S’agit-il plutôt de petites ou de grosses structures ?
Le Gouvernement a prévu un plan d’investissement pour les abattoirs afin de répondre aux besoins considérables en ce domaine. Quelle est votre analyse de l’état de nos abattoirs ? Dans quelle mesure faut-il les mettre aux normes et les moderniser ? En quoi ces opérations d’investissement contribueront-elles à une meilleure protection animale ?
M. Jean-Pierre Kieffer. Si nous n’avons pas eu recours aux vidéos pour dénoncer les dysfonctionnements, c’est que l’OABA, depuis sa création en 1961, a toujours souhaité maintenir un dialogue avec les professionnels des abattoirs. Il est certain que L214, en filmant en caméra cachée, a permis aux consommateurs comme aux responsables politiques d’être informés de ces mauvaises pratiques. Toutefois, cette association ne pourra pas, après cela, assurer un suivi dans les abattoirs ni poursuivre un dialogue.
Nous avons fait un choix, qui est peut-être à revoir : considérer que les responsables des abattoirs sont des professionnels qui doivent agir en professionnels, notamment en suivant les recommandations que les organismes techniques et nous-mêmes leur adressons. Visiblement, cette stratégie n’a pas été suivie d’effets.
Le choc des images, on le sait, est beaucoup plus fort que des écrits. Nous avons, vous avez en tant que responsables politiques, un travail à effectuer pour que ces images appartiennent au passé.
M. Philippe Vitel. Ces images vous ont-elles surpris ?
M. Jean-Pierre Kieffer. Nous n’imaginions pas des comportements d’un tel degré de gravité. Nous avons mené des centaines de visites, jamais de telles pratiques ne se sont déroulées sous nos yeux pour la simple raison que nous intervenons à visage découvert, en blouse blanche, accompagnés d’un représentant de la direction de l’abattoir, des services vétérinaires. Et même si nous décidions de faire nos visites du jour pour le lendemain, l’information que les « emmerdeurs de l’OABA » débarquent serait vite connue. Nous ne verrions pas de choses aussi scandaleuses. Il est donc certain que cette méthode a permis de révéler des dysfonctionnements dont nous n’avons jamais été témoins. Et ils ne sont certainement pas rares, d’où l’intérêt de la vidéosurveillance. Un RPA ou un vétérinaire inspecteur en blouse blanche ne pourra jamais exercer une surveillance suffisante : d’une part, il ne peut rester durant les huit heures de fonctionnement du poste d’abattage ; d’autre part, sa présence même induit un changement de comportement des opérateurs. La vidéosurveillance permettra de détecter plus sûrement des dysfonctionnements.
Le statut du RPA est défini dans le règlement de 2009. Le ministre de l’agriculture a annoncé que leur présence serait généralisée à tous les abattoirs alors qu’aujourd’hui, l’obligation de présence dépend d’un certain volume d’activité, si bien qu’une cinquante d’abattoirs n’en ont pas. Reste qu’il s’agit de salariés de l’entreprise, ce qui implique un lien de subordination. Ils sont dans une position délicate pour faire arrêter la chaîne. Nous avons donc suggéré au ministre que le RPA dispose d’un statut analogue à un délégué syndical qui lui assure une indépendance et la possibilité de consacrer spécifiquement, par délégation, des heures à la protection animale.
M. Frédéric Freund. Vous nous avez demandé, madame Le Loch, quels types d’abattoirs ouvraient leurs portes à l’OABA : ce sont des abattoirs à financement public. Les abattoirs de grands groupes comme le groupe Bigard-Charal-Socopa, depuis la diffusion en 2012 du reportage d’Envoyé spécial, nous ont clairement fait comprendre que nous n’étions plus les bienvenus même si certains directeurs, des fortes têtes, dérogent à cet ordre général et acceptent nos visites, estimant qu’ils n’ont rien à se reprocher. Nous constatons que nous avons moins de mal à entrer dans des abattoirs de porcs que dans des abattoirs de ruminants pratiquant l’abattage rituel – bizarre, bizarre… Et quand nous sommes autorisés à entrer dans ces derniers, il est demandé à nos délégués de venir vers sept heures et demie ou huit heures, lorsque les opérations d’abattage rituel sont achevées – bizarre, bizarre !
S’agissant du plan d’investissement pour les abattoirs, notons que, pour répondre aux exigences du « paquet hygiène » de l’Union européenne, ils ont déjà fait l’objet d’opérations de modernisation, mais sur le plan sanitaire avant tout. Certains ont transformé leurs équipements destinés aux animaux vivants, principalement les stabulations d’attente. Reste qu’il existe encore des abattoirs particulièrement vétustes. Je suis certain que si certains de ceux que nous avons récemment visités recevaient les inspecteurs de l’OAV, ils seraient fermés sur le champ comme cela est arrivé il y a quelques années à l’abattoir de Mâcon. Le plan de modernisation devra concerner les équipements dédiés aux animaux vivants
– stabulations, couloirs d’amenée, postes d’immobilisation –, plutôt négligés ces dernières années, c’est peu de le dire, au profit des améliorations sanitaires.
S’agissant des pays les plus protecteurs, nous sommes assez mal placés pour vous faire part de notre analyse sur les pays situés en dehors de l’Union européenne car nous sommes une association nationale qui a déjà fort à faire en France. Je peux vous dire que les abattoirs en Australie et en Nouvelle-Zélande suivent des protocoles d’abattage poussés avec contrôle systématique de la perte de conscience. Qui plus est, ils ont développé des méthodes qui n’existent pas encore en France, comme l’électronarcose des bovins : les animaux entrent dans de gros caissons où ils sont étourdis par choc électrique. Les loupés sont pratiquement inexistants. Qui plus est, l’étourdissement étant réversible, ces pays exportent de la viande halal vers les pays du Golfe et du Moyen-Orient. Plusieurs fatwas considèrent en effet que l’étourdissement est toléré par l’islam lorsqu’il ne tue pas l’animal mais le rend inconscient, l’un des préceptes du Coran commandant d’être bienveillant avec l’animal lorsqu’on le met à mort.
M. Jean-Pierre Kieffer. Pour finir, j’aimerais préciser que l’une de nos principales attentes est l’organisation d’un débat parlementaire. Certes, nous n’avons pas tourné de vidéos en caméra cachée, mais nous avons toujours apporté de l’aide aux parlementaires qui souhaitaient que l’on légifère sur les méthodes d’abattage. Cinq propositions de loi ont déjà été rédigées ; nous les connaissons par cœur. Aucune n’a été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ou du Sénat. J’espère qu’à la suite des travaux de votre commission, une proposition de loi verra bientôt le jour.
M. le président Olivier Falorni. Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le directeur, pour la clarté et la précision de vos réponses.
La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du mercredi 27 avril 2016 à 18 h 30
Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Élie Aboud, Mme Sylviane Alaux, M. Christophe Bouillon, Mme Isabelle Bruneau, M. Guillaume Chevrollier, M. Yves Daniel, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Hervé Pellois, M. François Rochebloine, M. Alain Rodet, M. Fabrice Verdier, M. Arnaud Viala, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti